• Le code secret des empanadas / El código secreto de las empanadas

    Pech Salamou, Aude, années 1990

    " Allez Allez dépêche-toi "
    Ma grand-mère Mimi me pressait un peu. Elle venait d'étirer la pâte et m'avait chargée de la découper en petits ronds. Pour une raison qui m'est aujourd'hui inconnue, j'imaginais que c'était des bulles de savon et je m'appliquais d'une drôle de façon à accomplir ma mission. Elle me grondait, étrangère à mes rêvasseries d'enfant et ne comprenait pas pourquoi je mettais tant de temps à décider où poser le verre qui me servait d'outil. L'empressement de la cuisinière prévalait sur n'importe quel imaginaire infantile. Elle, elle devait penser aux horaires de repas, au temps de cuisson, à la prochaine réunion du troisième âge, à Question pour un Champion en fin d'après-midi. Qu'est-ce que j'en savais moi de ces choses sérieuses qui lui passaient par la tête, à Mamie ! Moi, la seule chose qui me tenait à coeur c'était de faire de jolis dessins!

    Ensuite, nous recouvrions chaque pièce de pâte avec de la chair à saucisse, la pliions en deux et fermions les bords avec une fourchette. Cela donnait des demi-cercles fourrés, aux extrémités décorées de petits bâtons. Pour moi, les bulles de savons se transformaient alors en ailes de papillons. (C'est étrange, je me souviens encore parfaitement des détails, des formes et des volumes). Après, je prenais le rôle de simple spectatrice et assistait à la cuisson. Pour cela, ma grand-mère utilisait à peine un peu d'huile et une poêle très ancienne au large manche en bois, profonde, lourde, et surtout recouverte d'une improbable couche de charbon à l'extérieur, sûrement accumulée par les emplois successifs sur les flammes. Une poêle comme seulement on pouvait trouver chez elle et qui est restée mythique dans la famille. Enfin, elle déposait chaque pièce une fois frite sur un papier sopalin. En général, c'était à ce moment-là que j'y mettais les doigts, malgré l'interdiction formelle, et je terminais par me brûler un peu car je voulais croquer dedans.

    Pour la petite française que j'étais alors, préparer des rissoles avec ma grand-mère était toute une aventure. C'était une spécialité de la famille. Je ne sais pas si la recette est passée à la postérité , mais à cette époque, c'était le privilège total de Mamie. A mon souvenir ni ma mère, ni mes tantes ne les préparaient. Il me semble que mes camarades d'école ne connaissaient pas non plus ce plat. D'ailleurs, ils fronçaient les sourcils quand je leur en parlais. En faisant des recherches sur Internet, j'ai découvert qu'il s'agit d'une recette traditionnelle de la région de Grenoble. Je ne sais pas si elle est très courante là-bas. En tous cas, dans la région de Carcassonne, les rissoles étaient un peu extravagantes et moi je les adorais. Nous avions l'habitude de les manger avec de la salade car la friture était un peu lourde à l'estomac, et je présume que c'était la raison pour laquelle ma mère n'en faisait pas. La farce n'était rien d'autre que de la viande, avec beaucoup de poivre, et leur donnait un goût un peu piquant, semblable à celui d'un saucisson. La pâte était dorée, moelleuse à l'intérieur et d'un croustillant impeccable à l'extérieur. Je ne sais si c'était à cause des talents de ma grand-mère ou de la fameuse poêle. Mon oncle Jean-Pierre a toujours dit que les oeufs au plat préparés dans cette relique étaient unique et il regretta le jour où elle disparut des placards, il y a déjà quelques années.


    Wilde, Buenos Aires, décembre 2014

    " Coucou Mamie! Je viens te voir avec ma copine française "

    Stefi a déjà passé la porte et je la suis de près.
    Geli, bon pied bon oeil, n'a même pas 80 ans. Attablée dans sa cuisine, elle semble très occupée, mais je n'arrive pas à distinguer ce qu'il fait. Cela doit faire quelques heures qu'elle est ainsi. En face d'elle, un plateau avec les mêmes chaussons de mon enfance et un saladier rouge rempli de viande hachée, persil et d'autres ingrédients que je n'identifie pas. A côté, il reste encore de la pâte. Le four est allumé et l'odeur indique qu'il doit y avoir un autre plateau en train de cuire. Cette grand-mère mène la recette des rissolles à un niveau beaucoup plus industriel que la mienne.

    " Ooh vous faites des empanadas, je peux regarder comment vous faites? "

    La dame n'utilise pas de fourchette mais ferme les bords avec les mains et cela attire mon attention. Je m'assieds en face d'elle, fascinée par la précision du geste, rapide et habile. Elle rie un peu.

    " Pff je ne fais rien d'extraordinaire "

    Elle a le ton de la cuisinière expérimentée qui ne voit plus les difficultés car elle maîtrise parfaitement la technique.

    "  Tu veux le faire? Regarde comment je fais le repulgue "

    Ainsi, j'apprends que le geste habile porte même un nom: repulgue et elle me le montre une fois encore en détaillant chaque étape. On dirait qu'elle tresse la pâte. Ce joli dessin aurait largement éveillé mon imagination dans mon enfance. Mais maintenant j'ai presque 30 ans et je me mords la langue pour me concentrer et fermer le chausson en bonne et due forme. Le résultat est rustique, plat et sans grâce. Je me retrouve rapidement les mains vides: il ne reste plus de pâte. J'éclate de rire et Geli aussi. J'aurais encore besoin d'entrainement pour réussir de belles empanadas.


    Toutefois les mois suivants, je découvrirai qu'en Argentine, il n'est pas besoin de dominer l'art du repulgue. On trouve de ces chaussons partout. Ici la recette de Mamie Mimi n'est pas marginale, au contraire: c'est une véritable institution.

    Je découvrirai donc que les empanadas à la viande sont les plus traditionnelles, mais qu'il existe aussi une infinité de goûts et que les recettes changent même selon les régions. Je m'étonnerai le jour où j'aurai à choisir entre : carne suave viande douce, carne picante viande piquante et carne cortada a cuchillo viande coupée au couteau. Si la différence entre les deux premières est tout à fait claire, la dernière est pour le moins mystérieuse. L'ustensile a donc autant d'importance? En fait, les Argentins sont tellement pointilleux en matière de viande qu'ils ont besoin de faire la différence entre la viande hachée plus ou moins épicée et la viande coupée en petits morceaux. (J'ai cru comprendre que la taille et le type de couteau importent peu mais sait-on jamais, je pourrais un jour croiser un fondamentaliste de la viande coupée au couteau.)

    Je mettrai un peu de temps à comprendre que même si l'origine de ces chaussons est espagnole, l'influence de l'Italie est encore une fois énorme. D'ailleurs, bientôt j'adopterai cet adage: là où l'on vend des pizzas, on vend des empanadas. Comme la pizza, certaines sont préparées avec des ingrédients tels que la mozzarella, le basilic, la tomate. Comme la pizza, c'est le remède aux soirées sans inspiration culinaire et sans envie de sortir de la maison.

    Enfin, ce qui me surprendra le plus c'est leur langage universel. Cela est en effet indispensable pour différencier les goûts. Il existe des formes variées et créatives de " repulgue ": l'art de la fermeture de chausson va beaucoup plus loin que ce que je pouvais imaginer. Il y a aussi les CS, CP, JQ marqués dans la pâte, codes secrets pour Carne Suave (Viande douce) Carne Picante (Viande piquante), Jamón y Queso ( Jambon et fromage) etc...

    Bref, dans les mois qui suivront, je découvrirai un monde à part, inséparable du quotidien de la vie à Buenos Aires.



    Villa Crespo, Buenos Aires, Mars 2017

    Après plusieurs années en Argentine, (et curieusement pour la première fois) j'ose enfin ma propre production. J'ai acheté 24 pièces de pâte toute prête et prédécoupée. J'ai un chantier de toute une après-midi devant moi.

    Au lieu de suivre l'authentique recette, je décide finalement de me laisser emporter par la créativité. Je crée ma propre formule avec ce que j'ai sous la main dans le frigo: des steak hachés pour la viande, des olives vertes, des tomates, des oignons, du cumin ( que j'ai acheté spécialement pour l'occasion). Ce n'est grave si je ne respecte pas la tradition. Comme quand j'étais enfant, les empanadas favorisent mon imagination.

    Je tente le "repulgue" de Geli. Après plusieurs tentatives, je finis par utiliser la fourchette. Comme mon four ne fonctionne pas, je fris chaque pièce avec très peu d'huile comme le faisait Mimi. Puis j'en fais quelques barquettes pour congeler.

    Et tandis que je répète chacun des gestes des aïeules, j'ajoute ma touche personnelle, et naît une nouvelle recette. La France et l'Argentine se mélangent dans ma cuisine. Et à ce moment-là, la main dans la pâte, la tête dans les souvenirs, je réfléchis à cet étrange chemin de la transmission. C'est à cet instant précis que je décide qu'il est temps de retracer chacun de ces moments dans mon blog.

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     Pech Salamou, Sur de Francia , años 1990.

     " Allez, allez dépêche-toi "

    Mi abuela Mimí me apuraba un poco. Había estirado la masa y me había encargado de recortarla en circulitos. Por algún motivo que hoy desconozco, yo me imaginaba que eran burbujas de jabón y me aplicaba de una forma extraña en cumplir mi tarea. Ella me regañaba, ajena a mi fantasía infantil y no entendía por qué tardaba tanto en decidir donde ubicar el vaso que me servía de herramienta. Las prisas de la cocinera prevalecían sobre cualquier imaginario de niño. Elle estaría pensando en horarios de almuerzo, tiempo de cocción, congelador, reunión en la casa de jubilados a la tarde. ¡Que sabía yo de estas cosas serias que pasan por la cabeza de una abuela! A mí lo único que me importaba era hacer dibujos lindos.

    Cada pieza recortada la rellenábamos luego con carne picada de cerdo, la doblábamos y juntábamos los bordes con un tenedor. Quedaban unos semicírculos rellenos, con las extremidades decoradas con " palitos ". Para mí, las burbujas de jabón se transformaban en alitas de mariposas. (Es extraño, aún hoy recuerdo claramente los detalles, las formas, los volúmenes.) Después, yo tomaba el papel de simple espectadora: asistía a la cocción. Para eso, mi abuela empleaba un poquito de aceite y una sartén muy antigua, profunda, pesada, con un ancho mango de madera y sobretodo, con una improbable capa de carbón para afuera, seguramente juntada por el uso reiterado sobre las llamas. Una sartén que sólo se encontraba en su casa y que quedó mítica en la familia. Al final, depositaba cada pieza, una vez frita, en un papel de cocina. En ese momento era cuando yo solía tocar las masitas calientes a pesar de la prohibición formal y, cómo no es de extrañar, me terminaba quemando un poco, por querer comerlas antes de tiempo.

    Para un Argentino no será tan raro cocinar empanadas con la abuela. Para la nena francesa que era entonces era todo una fiesta. Les " rissolles ", como se llamaban, era una especialidad familiar. No sé si la receta pasó a la posteridad hoy día, pero el caso es que, en aquel momento, parecía privilegio de la abu. Ni mi madre las cocinaba, ni mis tías. Tampoco recuerdo que mis compañeritos de cole conocieran este plato. De hecho levantaban la ceja cuando les hablaba de él. No sé si era muy común en el panorama gastronómico francés. Las rissolles eran cosas raras y a mí me encantaban. Las solíamos comer con lechuga, porque la fritura resultaba un poco pesada para el estómago, y sospecho que por eso nunca las hacía mi mamá. El relleno de carne no llevaba nada más que mucha pimienta y dejaba un sabor picantito en la lengua, parecido al de un salame. La masa quedaba dorada, más tierna para adentro y con el crujiente perfecto para afuera. No sé si por los talentos de mi abu o tal vez por esta sartén tan particular. Mi tío Jean-Pierre siempre afirmó que los huevos fritos no sabían igual preparados en esta reliquia y se lamentó cuando desapareció de la alacena, hace unos años ya.

     

    Wilde, Buenos Aires, diciembre del 2014

     " Hola abu! te venimos a visitar con mi amiga francesa "

     Stefi ya pasó el umbral de la puerta y voy justo detrás de ella.

     Geli ni llegará a los 80 años. Está sentada en su cocina, parece ocupadísima pero no distingo muy bien con qué. Ya llevará unas horas así. En frente de ella, una bandeja con los mismos semicirculitos de mi infancia y un cuenco rojo con carne picada, perejil y más cosas que no consigo identificar. Al lado, quedan todavía tapas de masa vacías. El horno está prendido y el olor delata otra tanda de estas cociéndose. Empanadas por hacer, otras por cocer y otras recién horneadas y listas para congelar: esta abuela lleva la receta de las "rissoles "a un nivel mucho más industrial que la mía.

     " Uuy, puedo mirar cómo hace? , pregunto.

     La señora no usa tenedor sino que cierra los bordes con las manos y eso me llama la atención.

     Me siento en frente de ella fascinada por la precisión del gesto, rápido y hábil. Ella se rie un poco.

     " Puff es un pavada, nada extraordinario. "

     Tiene este tono de la cocinera experimentada que ya ni ve las dificultades porque controla la técnica perfectamente.

     " Querés hacerlo? Mirá como hago el repulgue " 

     Así me entero que la pavada tiene un nombre: " repulgue " (que es un argentinismo por " repulgo ") , y ella lo repite otra vez, explicándome cada paso. La pieza queda como cerrada por una trenza. ¡Cuántas fantasías hubiera despertado este lindo dibujo en mi niñez! Pero ahora ya tengo casí 30 años y saco la lengua para concentrarme y cerrar la masa como se debe. El resultado es bastante tosco, plano, y sin gracia. Me encuentro rápidamente con las manos vacías. Ya se terminaron las tapas. Suelto una carcajada y Geli también. Voy a necesitar más entrenamiento para lograr una lindas empanadas.

    Sin embargo, los meses siguientes descubriré que en Argentina, no es necesario dominar el repulgue. Empanadas se encuentran por todos lados. Acá la receta de la abuela Mimí no es nada marginal, más bien todo lo contrario: es una institución.

    Descubriré que la empanada de carne es la más tradicional, pero que existe también un sinfín de sabores diferentes y que incluso las recetas cambian según cada región del país. Me extrañaré la primera vez que tenga que elegir en la lista entre " carne suave ", " carne picante " y " carne cortada a cuchillo ". Si la diferencia entre las dos primeras queda clarísima, la última es por lo menos misteriosa. ¿ Tanta importancia tiene el ustensilio en la receta ? En realidad, los argentinos son tan puntillosos en temas de carne que necesitan distinguir entre la carne picada más o menos especiada, y la carne en trocitos (tengo entendido que el tamaño y el tipo de navaja importan poco, pero nunca se sabe, en cualquier momento podría cruzarme con un fundamentalista de la carne cortada a cuchillo).

    Tardaré un tiempo en entender que, si bien tiene origen español, la influencia de Italia es enorme. ¿ Quién lo hubiera dicho? La relación no es tan obvia a primera vista. De hecho, pronto haré mía esta regla de oro: donde se vendan pizzas, se venden empanadas. Como la pizza, algunas tienen ingredientes como muzzarela, albahaca o tomate. Como la pizza, es el remedio a las noches sin inspiración culinaria y sin ganas de salir de casa.

    Por último, lo que más me gustará y me sorprenderá es el lenguaje universal de las empanadas, imprescindible para diferenciar los sabores. Hay formas variadas y creativas de repulgue: el arte del cierre va mucho más lejos que lo que hubiera podido imaginar. También se encuentran CS, CP, JQ marcados con un sello, códigos secretos para Carne Suave Carne picante, Jamón y Queso. En los meses siguientes a mi iniciación al repulgue exploraré un mundo a parte, inprescindible en el cotidiano de Buenos Aires.

     

     Villa Crespo, Buenos Aires, Marzo 2017

     Después de unos años viviendo en Argentina, y por primera vez (curiosamente), me atrevo en elaborar mis propias empanadas. Me esperan 24 tapas prehechas y una tarde entera de trabajo.

    En lugar de seguir la auténtica receta, decido finalmente dejarme llevar por la creatividad, y desviarme de los caminos ya establecidos. Armo mi propia fórmula, con lo que tenga a mano en la heladera: hamburguesas para la carne, aceitunas verdes, cebollas, comino (que compré especialmente). No importa que no siga la tradición. Como cuando era niña, las empanadas fomentán mi imaginación.

    Intento el repulgue como me enseñó Geli. Después de varias tentativas, uso finalmente el tenedor. Como no funciona el horno en mi casa, frío cada pieza con muy poca aceite como lo ví hacer a Mimi. Después, confecciono unas bandejitas para congelar.

    Y mientras voy repitiendo uno a uno los gestos de las abuelas añado mi toque personal y nace algo nuevo. Se mezclan Francia y Argentina en mi cocina. Con las manos en la masa, la cabeza llena de recuerdos, reflexiono sobre este extraño camino de la transmisión. Y en este preciso instante, decido que ya es hora de transcribir en mi blog cada uno de estos momentos.

     

     

     

     

     

     

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