• Arriver à Buenos Aires, c'est un peu comme débarquer sur une feuille de papier millimétré...

    Chaque rue, une ligne horizontale immense, croisant une autre verticale tout aussi longue: les premières fois en centre-ville, les premiers regards que l'on jette en sortant de la bouche du métro et la seule chose que l'on remarque, ce sont ces avenues infinies, droites et interminables. Oui, ce qui impressionne au premier abord à Buenos Aires, c'est sa perspective.
    La perspective mono-oculaire centrée, digne d'un tableau de la Renaissance italienne et Dieu sait que l'image est très peu appropriée. Car à l'heure où Piero de la Franscesca peignait sa cité idéale d'Urbino, la capitale argentine n'était même pas fondée. Des édifices immenses et des voies infinies qui aspirent, attirent dans le lointain.  Des  dimensions à vous faire tourner la tête. Vient alors la grande question: Comment ne pas se perdre à Buenos Aires?

    Pourquoi il est impossible de se perdre à Buenos AiresPourquoi il est impossible de se perdre à BA

     

    Parcourir la feuille de papier millimétré...

    Et bien précisément parce que vous êtes sur une feuille de papier millimétré!!
    Regardez bien, regardez attentivement le plan. Et vous remarquerez qu'il est constitué de lignes verticales et horizontales et de petits carrés, c'est un vrai quadrillage. Et bien sachez que ces petits carrés, appelés cuadras -équivalent géométrique de notre gastronomique "pâté de maison"- sont de vraies merveilles qui facilitent grandement la vie! Ici la cuadra est l'unité de mesure, même dans un contexte totalement rural, le portègne s'oriente ainsi, il parle du bar qui se trouve à 3 cuadras, et il évalue la distance, lointaine ou non en cuadra et même en media cuadra.  Et pour cause! Chaque côté de ce carré mesure à peu près 100 mètres, et chacun comporte 100 numéros de maisons. 1 m = 1 numéro. nº 1 à 100 pour la 1ère , nº100 à 200 pour la 2ème etc... A chaque pâté de maison, un panneau indique ses numéros.
    Les artères principales desservant l'ouest de la capitale, ces grandes avenues "horizontales", toutes naissent en réalité du centre, des abords de la plaza de mayo et de la Casa Rosada, la maison du gouvernement, et s'étirent vers l'intérieur sur des kilomètres. Plus on se dirige vers le centre, plus les numéros diminuent, plus on s'éloigne du centre, plus les numéros augmentent.
    Ces avenues principales -Santa Fé, Córdoba, Corrientes, Rivadavia- distribuent les différents quartiers suivies chacune par une ligne de métro. La numérotation augmente de pair à la distance parcourue. Ainsi si l'on se trouve au nº 200 de l'avenue Corrientes on se situera à 200m du centre tandis que si l'on est au nº 5000 on saura qu'il nous faut parcourir 5kms pour arriver aux abords de la casa rosada. Super pratique non?
    En dehors de tout ce profil d'avenues " horizontales", une " verticale " se distingue particulièrement des autres. La "9 de julio", artère névralgique du centre de Buenos Aires. A l'intersection avec l'avenue Corrientes, s'élève la fameuse obélisque commémorant le lieu où a été hissée pour la première fois le drapeau argentin en 1812. Mais surtout, elle gagne des records, car elle est l'une des plus larges du monde:  10 voies dans un sens, 10 voies dans un autre: une chaussée de 140 m au total!

    Pourquoi il est impossible de se perdre à BA

    Demander son chemin est plus compliqué que le trouver...

    On vient de le voir, la cuadra est une invention géniale pour s'orienter: marchez 2 cuadras, tournez à droite, puis vous êtes arrivés. Impossible de se perdre. Mais, à l'heure de demander son chemin, la situation se complique, car si vous n'êtes pas initié au jargon, la réponse que l'on vous donne peut s'avérer plus complexe que le fait de déambuler dans les rues. Il convient donc de s'adapter à un certain vocabulaire...
    La première fois que j'interroge un portègne pour savoir où se trouve l'arrêt de bus, j'ouvre de grands yeux ronds quand je l'entends me répondre: " c'est à  2 cuadras, à Olazabal y Triumvirato" (les noms en question étant, à ma décharge particulièrement difficile à retenir!).  Plus tard on me parle de  "Juramento y Cabildo".  Mais qu'est-ce que c'est que cela ?  Le jurement du Cabildo? Jusqu'à ce que je comprenne que les portègnes omettent le mot " calle " ou " avenida "  et qu'ils se situent en fonction des carrefours, et en général si les deux rues sont importantes, ce sont des points de référence dans la ville.
    Entendez donc, dans  la version Assimil du Petit Portègne de poche:
    Juramento y Cabildo = croisement-entre-la-rue-Juramento-et-l'avenue-Cabildo.
    Je me souviendrai toujours de la première adresse que l'on m'a donné. Pedro Rivera entre Andonaegui et Bucarelli. Entre un nom basque et un italien. Mais pourquoi faire? Voilà un autre élément très pratique, grâce à cette histoire.  Car quand vous donnez son adresse, après la rue et le  numéro, vous pouvez préciser votre cuadra grâce aux deux rues perpendiculaires entre lesquelles se situe votre maison!  Et bien souvent dans les noms de rues portègnes, il y a un basque, et le basque est toujours particulièrement difficile à retenir: Andonaegui, Olazabal, Belaustegui etc...

    Des noms qui se répètent...
    Oui, cela se complique avec les noms, car ici, si la perspective visuelle des rues est digne de tableaux italiens, la toponymie est beaucoup moins artistique. Il manque l'imaginaire et l'inventivité de la toponymie européenne. Il manque surtout quelques siècles d'histoire... ici les noms des rues sont un peu artificiels,  il faut le reconnaître. Pas de rue de la Brêche et l'anecdote liée à la brêche dans les anciens remparts, pas de " rue des trois visages " faisant référence à une sculpture ancienne sur une façade. Pas de noms de rues propres à chaque ville donc. Ici, comme dans toutes les villes argentines se promener dans les rues, c'est se promener entre les grands Hommes de l'Histoire du pays: généraux et présidents marquants, dates importantes, rien ne manque! San Martin, général de  indépendance de l'Argentine, Belgrano, le créateur du drapeau , 9 de julio , 9 juillet 1816, date de  la déclaration de l'indépendance, 25 de mayo,  25 mai 1810, date de facto de l'indépendance etc etc... 9 de Julio c'est aussi le nom d'une ville de la province de Buenos Aires, c'est pour dire! Cela peut donner lieu à de drôles d'ironies, lorsque l'on réconcilie en un même lieu deux personnages historiques ennemis:  comme Juan Manuel de Rosas (ancien gouverneur de Buenos Aires) dont la station de Métro éponyme se trouve en plein quartier de villa Urquiza, nom de l'homme qui renversa son gouvernement.

    Bref bien plus que du papier millimétré, le plan de Buenos Aires, ce sont aussi les pages ouvertes d'un vrai livre d'histoire-géographie!

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  •  Buenos Aires vue depuis le Rio de la Plata

     

    Avant de vous raconter les dessous de la vie portègne*, avant de vous livrer ses secrets, avant de vous parler de l'immensité de ses rues et de ses avenues, du pittoresque de ses quartiers, de la vie de ses gens, j'ai choisi de vous la présenter de loin, comme un passager solitaire débarquant sur ses rives, abordant ses parages, comme peut-être des milliers d'émigrés européens auraient pu la voir depuis le bateau qui leur permettrait de continuer à vivre et à transmettre la vie ; ces émigrés, italiens et espagnols pour la plupart, dont les portègnes* sont les descendants.

    Buenos Aires, au loin, dans la brume, les gratte-ciels bleutés s'étalant sur des kilomètres et tronant dans l'immensité. Buenos Aires, capitale de l'Argentine, se situe sur les bords du Río de la Plata. Le fleuve de l'Argent ( tel est la traduction de son nom) est improprement qualifié de rivière puisqu'il s'agit en réalité d'une embouchure immense, où se jettent deux fleuves : l'Uruguay et le Paraná. Ce dernier est un géant d'eau sudaméricain qui naît au Brésil et parcourt près de 4000 kms avant d'arriver aux abords du Rio de la Plata.

     

    Voici Buenos Aires!

    Buenos Aires, ville portuaire, ville d'eau douce mais ville portuaire tout de même, qui tire son nom même de son port, el Puerto Santa Maria del Buen Aire, donné en l'honneur de la Vierge italienne de Bonaria, patronne des Navigateurs. Une autre légende raconte que l'un des premiers conquistadors s'était exclamé en abordant ses rives : « Que buenos Aires son estos», mais il semblerait simplement que Buenos Aires soit la traduction littérale de la fameuse Vierge.

     

     

     Ce jour-là, le jour où j'ai pris cette photo, j'ai découvert Buenos Aires telle quelle à bord d'un bateau qui me conduisait en Uruguay, de l'autre coté du Rio de la Plata. Ce jour-là, j'ai pris conscience de la beauté et l'immensité de cette fausse rivière embouchure. Oui, même si cela semble difficile à croire, Buenos Aires est vraiment toute proche d'une nature immense et exceptionnelle, surtout du point de vue de l'européen pour qui elle est de plus exotique. Ce jour-là, la couleur habituellement maronnasse de l'eau (car chargée naturellement en limon) prenait dans la lumière du soir des reflets d'argents, des tons gris si brillants qu'il m'a semblé un instant comprendre le nom de cette rivière. Le fleuve d'Argent... « Quelle poète romantique que tu es » a souri un portègne quand je lui ai fait part de cette observation. Me plongeant dans les recherches, je constate effectivement que ce sont les conquistadors qui l'ont baptisé ainsi guidés par leur soif de métal précieux et pensant avoir trouvé là un chemin navigable vers une suposée montagne d'argent issue d'une légende indigène. Ainsi donc, point d'or ni d'argent dans les parages, mais reste la poétique du nom, bien que cela paraisse bien ironique aux yeux des portègnes.

    Buenos Aires, Baires, BA, Bs As... Quel que soit le nom que l'on lui donne, ce jour-là, j'ai aussi compris la splendeur de cette ville, la seule des pays sudaméricains qui traditionellement a voulu regarder vers l'Europe, et s'est souvent attirée pour cela les foudres de ses voisins en leur tournant le dos. Il suffit de se promener quelques instants dans ses rues pour bien s'en rendre compte, on retrouve des airs des boulevards hausmanniens de Paris, des avenues de Barcelone ou de Madrid. Mais Buenos Aires, est-ce seulement cela ?

    « El que mire fisonomías o hábitos creerá estar en Europa, no el que observe pulsos o inspiraciones. » (Celui qui regarde les physionomies ou les habitudes croira être en Europe, mais pas celui qui observe le pouls et les inspirations.) C'est Raúl Scalabrini Ortiz, un écrivain argentin qui a écrit cette phrase en 1931 au sujet de Buenos Aires. Car on peut dire tout ce que l'on voudra, au-delà des premières apparences de la ville ou de celles des hommes, héritées des grands parents espagnols ou italiens, ses habitants ne sont pas européens. Cela se sent dans la manière de vivre, de se socialiser, d'aborder les gens ou d'inclure l'étranger dans une fête d'anniversaire. Cela se sent dans les gestes employés, les mots utilisés, la dynamique et la débrouillardise.

    Et bien voilà, c'est de cela dont j'aimerais vous parler dans ce blog, de cette Buenos Aires là. Loin des clichés des cartes postales ou des guides touristiques, vous brosser mon propre tableau de la capitale argentine, forcément iNcomplet, forcément subjectif, mais la Buenos Aires telle que je la vis, telle que je la vois, telle que je la sens. Esquisser mes sensations et mes observations, mes surprises et mes interrogations pour découvrir la réalité d'un pays hautement complexe et passionnant. J'espère que vous aimerez autant que moi faire le voyage...

     

    * Les habitants de Buenos Aires sont appelés portègnes (porteño en espagnol) en référence au port de la ville. Et en opposition aux Buenos-airiens (Bonaerenses en espagnol) qui fait référence aux habitants de toute la province de Buenos Aires.

     

     

     

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